Le Printemps du livre de Montaigu, 3ème partie

je m'enfile quelques cafés pour tenir le choc : la mauvaise nouvelle, c'est que la chaleur grimpe en flèche, et que sous le chapiteau, dans notre îlot rouge, ça commence à chauffer sévère.
Bien évidemment, Anne Richard à côté de moi est fraîche et pimpante.
Moi, moins.
Je déteste la chaleur, ça m'abrutit, ça me rougit les joues, ça fait couler mon rimmel, ça me met de méchante humeur...
J'utilise les marques-pages que je donne d'ordinaire à mes lecteurs pour me faire un éventail. 
Tant pis pour eux.

Le flux des fans de Boulevard du Palais étant irrégulier, j'ai tout de même des personnes qui arrivent jusqu'à ma table et au final, je fais pas mal de dédicaces.

Et puis, toute expérience étant bonne à prendre, je découvre le monde des célébrités et de leurs fans : se prêter aux photos, aux selfies, dédicacer des cartes, et puis écouter chacun raconter sa vie, s'extasier devant les incroyables cahiers de dédicaces (un particulièrement impressionnant, où le monsieur recopie à la main les biographies des people, leurs répliques cultes (ou pas), les chansons des chanteurs...)(on est à la limite du trouble obsessionnel).
Je trouve qu'Anne est particulièrement agréable et patiente. 
Cela dit, être connu, c'est un vrai plus pour vendre ses livres que les gens s'arrachent comme des petits pains. 
Je devrais y penser pour les miens.


Achetez mes livres, je suis célèbre !


L'heure de midi arrive, et je m'aperçois que je ne suis avec personne que je connais au restaurant que l'organisation m'a attribué (j'ai quand même quelques copines sur ce salon : Sophie Adriansen, Sophie Henrionnet, Marie Vareille, Mim ...).
Un mini-bus fait des navettes incessantes, sillonnant la ville pour déposer les auteurs dans tous les restaurants. Je déboule dans l'un d'eux et m'installe.

Pour moi, les restaurants, c'est toujours un petit peu compliqué, parce que je suis végétarienne. Pour le grand bonheur des restaurateurs, je fais retirer des plats souvent préparés à l'avance les lardons, les dés de jambon, les pilons de poulet, les miettes de foie gras, et autres gésiers...

Evidemment, ça les énerve, les restaurateurs.
Alors pour faire face avec dignité aux remarques, et ne pas avoir une mauvaise image de moi-même et de mes exigences, je pense à Sally dans Quand Harry rencontre Sally. J'assume tout de suite mieux !



Avec la sauce à part...

Le repas se passe tranquillement, entre ma salade nature, mes pommes de terres sautées nature à la crème de champignons nature. Je me rattrape sur le dessert  (c'est rare qu'il y ait de la viande, dans un dessert), et je me régale avec une brioche vendéenne façon pain perdu. Un délice !

La navette arrive. J'ai terminé mon repas plus tôt que les autres (forcément : la viande, c'est long à mastiquer) et je monte seule dans le micro-bus, à l'avant, à côté du chauffeur qui me dit qu'il va aller voir dans le restaurant si d'autres auteurs sont prêts. Tandis que j'attends, un homme en bleu de travail m'interpelle et me dit :
- Ne démarrez pas tout de suite ! Attendez-moi ! J'en ai pour un instant !
- Vous faites ce que vous voulez, moi, je ne suis pas le chauffeur...
Mais l'homme-au-bleu-de-travail est déjà reparti. Je le vois du coin de l'oeil dans l'entrée du restaurant, signer des papiers avec une autre personne.
Un contrat de travaux de maçonnerie, probablement.




Le chauffeur revient, et je lui explique que le maçon, là, a demandé de l'attendre. Avec un petit sourire amusé, il me répond :
- Vous ne l'avez pas reconnu ?
- Je devrais ?
(A part celui qui a fait les travaux de ma cuisine l'an dernier, je ne suis pas particulièrement familière avec les maçons).
- Mais, c'est Brice Saint Gonzague !

- Vous voulez dire Gonzague Saint Bris, j'imagine ?
- Non, non, Brice Saint Gonzague !
Brice Saint Gonzague. Sûrement un cousin éloigné de Gonzague Saint Bris qui aurait fait fortune dans la maçonnerie, alors.

Mais l'homme a fini de signer ses factures, et se rapproche du mini-bus. Sans vouloir être impolie, je le regarde à la dérobée pour chercher un air de famille avec le journaliste romantique de mon souvenir. Y'a quelque chose, en effet. Mais c'est au moment où il monte dans le véhicule que je m'aperçois qu'il n'est pas en bleu de travail. Non. Il a une chemise bleue, un pantalon bleu et des chaussures bleues. De ce bleu inimitable qu'ont les bleus de travail. Je suis bien seule dans le mini-bus avec Gonzague Saint Bris, qui a délaissé les chemises à jabot de ses débuts de nouveau romantique.

Voilà, moi, le souvenir que j'en ai :


 Et voilà l'homme que j'ai à mes côtés :


(Bon, là, il n'est pas bleu mais rose. Il aime bien le total look unicolore, visiblement. Tout-rose, puis tout-bleu, comme s'il était passé sous les baguettes de Flora, Pâquerette et Pimprenelle, les fées de La belle au bois dormant.)

Rose ou bleu ?

(Mais je m'égare... )

Dans le bus, nous discutons tous les trois, le chauffeur-qui-croit-qu'il-s'appelle-Brice-Saint-Gonzague, Gonzague Saint Bris (le vrai) et moi. Comme si de rien n'était. Et devinez de quoi nous parlons : de... maçonnerie (une histoire de piscine de l'hôtel où est descendu Gonzague (ou Brice, selon), qui a été maçonnée par le grand père du chauffeur). Pour tempérer le fou-rire que je sens monter, je m'évente de plus en plus vite avec mes marque-page... La conversation dévie soudain sur la météo. Ouf ! C'est bien, ça, la météo. Et sans danger, dans une conversation.

Pour finir, quand nous descendons du bus, Gonzague m'emboîte le pas et commence à taper la discute, me posant tout plein de questions sur mes livres. Je n'ose lui rendre la pareille ("et vous, vous faites quoi dans la vie ?"), mais ouais, malgré sa tenue vestimentaire qui pourrait porter à confusion, lui aussi, il est sympa, le Gonzague !


(à suivre)